Nous jouons le 1er février prochain à Toulouse dans le cadre du festival Détours de Chant au Taquin.
Cela nous rappelle quelques très bons souvenirs, et une belle anecdote.
Un groupe de Rock, ça voyage en camion. On dit le « camion » même si cela serait plus précis de dire un fourgon. Nous étions très nombreux dans ce véhicule, 4 musiciens, 4 techniciens et un chien, Gogo. A l’époque le GPS était remplacé par la bonne vieille carte Michelin. Nous allions jouer au Bijou rue de Muret. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de circulation dans le centre de la ville rose, et que nous ne parvenions pas à nous orienter précisément dans les bouchons. Comme tout groupe qui se respecte, une petite tension naissait doucement à la mesure du degré de confiance que l’on pouvait accorder au chauffeur et à son copilote, qui n’était pas le chien je vous rassure, mais je pense que cela n’aurait pas été pire…
Dommage que nous n'ayons pas été dans cet embouteillage, comment Tati aurait il fait danser les essuie-glaces du fourgon?
Au bout de quelques demi-tours successifs : « à gauche… à droite…non !non ! à gauche ».
Certains d’entre nous ne pouvant plus résister à l’appel ont décidé de descendre en plein centre ville, afin de nous retrouver plus tard à la salle pour cause de déshydratation.
Les plus téméraires sont restés solidaires, dont Gogo, et se sont retrouvés sur la route de Muret, en effet pas RUE de Muret… Mais un panneau nous indiquait, Toulouse : 16km !
Quand nous sommes arrivés sur le lieu, nous avions été bien accueillis par l’équipe du Bijou. C’était en 1992 ou 1993, je ne me souviens plus très bien, notre première date dans cette ville. Le soir nous avions joué devant 3 personnes. Un concert comme si notre vie en dépendait, un concert « à fond ».
Toute l’équipe du lieu s’était retrouvée dans la salle et avait assisté au concert, participé, chanté dansé…
3 mois après nous y rejouions, il y avait 70 personnes, et la troisième fois la salle était pleine !!!!
1993, Le Bijou à Toulouse, on venait de sortir le premier album Rouge.
25 années ont passé.
Peut on trouver une continuité dans le parcours ?
25 années, un bail, et en même temps le sentiment que c’était hier. Ce premier disque naissait d’un projet muri depuis quelques années, cette envie de jouer une musique de fusion, de faire un groupe, créer un collectif, de trouver un équilibre entre les influences qui tracent un chemin dans le parcours des musiciens qui le composent.
Comment trouver l’angle d’interprétation personnel d’une forme d’héritage musical
transmis aussi bien par la grande nébuleuse rock, l’étrange courant de la chanson « à texte » comme l’on dit chez nous, que par cette ancrage sur une terre de musique comme la Bretagne ?
La manière d’entendre un plinn ou un andro est conditionnée par un savoir, bien sur, une connaissance de l’ethno musicologie au sens large, comme une science, mais aussi par une sorte de rapport inconscient avec la mélodie que l’on écoute et le mouvement inné de la danse.
Le passé traduit le présent, et peut l’incarner ou l’incarne. Le rapport à l’imposture de la fiction musicale que l’on crée naît de toutes ces références digérées dans la grande sono du monde et qui nous porte au quotidien comme si nous ne savions pas faire autre chose.
On cherche à s’inventer une forme de monde ou s’agrègent, vie au quotidien, relation à l’autre, débat d’idées. Autant d’inconnues dans une équation imaginaire que l’on cherche à résoudre ou pas.
On sait juste qu’un blues fait douze mesures, mais pas tout le temps,
qu’il y a trois accords, mais pas tout le temps, et que l’on peut développer tout cela sous la forme libre de l’improvisation.
Nous ne sommes donc pas vraiment des créateurs, mais plutôt des inventeurs de fiction.
Nous imaginons une histoire avec notre instrument sur un canevas déjà bien défini par
La théorie musicale et ses académismes.
C’est comme cela aussi avec les mots, puisque nous y cherchons une musicalité autant qu’un sens. Il y a une continuité évidente entre passé et présent, les éléments qui entrent en jeu sont souvent liés à un contexte social, politique, économique, cette idée de l’art du vivre ensemble sur une même planète. L’histoire en tant que science humaine l’étudie.
Un groupe de rock, c’est une mécanique de la musique populaire. Cela peut être extrêmement novateur, mais rester plus souvent, comme pour Cardell, un simple passeur de tous ces sentiments que l’on ressent à l’écoute de la musique. Quand il n’ y a pas d’instruments, c’est la voix. On connaît cela, ici chez nous, avec le Kan Ha Diskan qui reste très vivant et intègre autant la mélodie que le groove. Il y a un renouvellement des générations de chanteurs traditionnels, dont la dernière qui s’ouvre jusqu’au hip hop ou l’électro.
Quand on commence un nouvel album, on essaie de penser à tout ça. On va au plus simple, en fonction de notre niveau musical, et donc on cherche à raconter cette histoire, inventer une fiction. Il y a de nombreux obstacles à affronter, quelques déserts à traverser, mais on essaye de s’en sortir. Pour ce nouveau projet cela ne déroge pas à la règle. La bonne idée, c’est d’avoir tout composé comme un groupe qui se retrouve en répétition pour la première fois sans vraiment savoir ou il va. Un peu à l’image, toute proportion gardée, d’un choix radical que l’on fait, quand on quitte tout, que l’on change de mode de vie ou de pensée.
Comme l’on se réfère à de multiples événements du passé, il y a matière à écrire
les textes de chansons en lien avec tout cela. Une chanson est un petit film, une petite histoire au format de 3 à 4 mn. On prend du plaisir, il n’y a pas d’autre ambition.
C’est pour cela que depuis toutes ces années on travaille sur un même sujet sans vraiment trop le savoir, sans le comprendre, en entamant juste une réflexion pour voir s’il est possible de le théoriser. Je me rends compte de ce lien entre le premier album en 1993 et le dernier projet Bienvenue. Tout ce travail auprès d’ados et d’enfants, à qui l’on demandait sur un questionnaire à quoi le rock ou le son d’un instrument correspondait pour eux, nous renvoie aux origines.
Donner du sens devient donc, aussi, un amer pour retrouver l’entrée de la passe qui mène au port, y’en a marre de la mer. On se pose à quai parce que les vrais problèmes ne parlent pas de musique, ils sont d’ordres profondément humains et matériels. Ils naissent de nos conflits intérieurs tout autant que de l’angoisse au quotidien ou de la peur et de la perte de confiance en l’autre. On ne maîtrise que le paraître, on évite les coups comme on peut, on se maquille de certitudes : Sans fard.
Un extrait du film d'Antonioni Blow Up, qui fait d'ailleurs polémique en ce moment.
Chacun des disques enregistrés tout au long de ces années sont ces petits cailloux posés sur le bord d’une route pour retrouver un chemin s’il est nécessaire. Où commence le récit, où finit la fiction ? On se le demande, donc y’a encore du boulot ! Et c’est tant mieux !
Bloavez mad !