France Bleu Breiz Izel diffuse samedi 25 décembre à 18 h un concert enregistré à Quimper le 26 novembre dernier. Nous sommes beaucoup soutenus par cette radio depuis nos débuts, j’ai eu envie de parler de diffusion, et donner quelques points de vue en vrac sur notre parcours, d’autant plus que la rébellion des coiffeurs ainsi que les « généreux émoluments » comme disait Gainsbourg des dirigeants des sociétés de droits font l’actualité.
Le groupe existe depuis maintenant plus de dix huit ans. Lorsque j’ai commencé à jouer de la musique, en 1986, la Bretagne était une région où il était assez facile de se produire. De nombreux cafés concerts ont vu le jour à l’aube des années 80, dans la foulée du succès des Stivell, Servat , Tri Yann, du festival Elixir ou des Transmusicales. Le rock était quand même l’enfant pauvre de la culture en France. Les groupes ne passaient pas à la radio, encore moins à la télé, squattée par des artistes de variété. Le changement de pouvoir en 81 va beaucoup faire changer les choses, en particulier au niveau des radios libres. Il y’a tout d’un coup un nouvel espace qui se crée pour les musiciens. De nombreux groupes parviennent à jouer dans des bars. Ils y rencontrent un public qui les suit. De petites assos commencent à monter des concerts dans des salles car ces groupes font du monde, et ainsi se tisse une toile, se créent des réseaux. Je mes souviens de tous les groupes Rock alternatifs, Garçons bouchers, Hot Pans, OTH, Sheriff, Beru, Parabellum, LSD etc… Ils ouvraient une voie, tentaient d’organiser un gros bordel, en créant des labels, des circuits de distribution. C’était une période où les musiciens apprenaient à se débrouiller, défendaient leur indépendance. Nous nous sommes beaucoup inspirés de cette philosophie lorsque nous avons commencé Cardell en1992.
La Mano et Noir Désir étaient déjà de grands groupes, le système avait intégré ces différences. Nous jouions donc énormément, et arrivions sans grosse promo ni médias à vendre 15 000 CD. La reconnaissance de tous ces artistes a abouti naturellement à une réappropriation du mouvement par l’institution avec la naissance des labels du ministère de la culture (cafés-concerts, scènes de musique actuelle.), et par les Majors qui signèrent les artistes en vue, et embauchèrent à des postes importants des acteurs du courant Rock alternatif Français. Par la suite on a vu beaucoup de lieux fermer pour des problèmes de bruit, des normes ont été imposées. De gros festivals sont nés de la dynamique citée plus haut, mais ont eux-mêmes très vite connu la nécessité d’adapter leur programmation à l’air du temps, aux grosses têtes d’affiches très médiatisées, les cachets ont explosé contraignant les programmateurs à changer de ligne éditoriale. Les Vieilles Charrues en sont un bon exemple, à leur début l’affiche mélangeait stars et inconnus issus de la scène Rock Française de cafés concerts, et même locale. Cette recette originale a connu un tel succès qu’elle a eu aussi son effet boomerang en imposant par la suite une reconnaissance tout autant médiatique et économique, qu’artistique.
Les radios libres se sont pour la plupart retrouvées récupérées par des réseaux commerciaux avec un nombre de titres limités diffusés, les diffuseurs institutionnels ont joué la carte des parrainages et réduit ainsi leur offre de nouveautés. Je me souviens d’une stat de la Sacem indiquant que le nombre de titres diffusés entre 2002 et 2006 fut réduit de moitié. C’est énorme et démontre bien que l’offre ayant diminué, la demande fait de même puisque la masse ne découvre que très peu de nouveaux artistes. Red Cardell a toujours été soutenu par les radios locales de Radio France en Bretagne. A leur début tout ce réseau national bénéficiait d’une très grande liberté de programmation. Les animateurs en restaient maîtres. Tout a changé aujourd’hui. Bleu Breiz Izel et Armorique gardent encore un espace de liberté imposé par le fait que la production discographique en Bretagne est la plus grande en France. Leur cahier des charges impose en effet de diffuser la production locale, beaucoup d’artistes comme nous bénéficient de ce soutien, c’est une chance, car lorsque nous jouons ailleurs en France, notre musique n’est que rarement diffusée sur le réseau France Bleu ou alors sur de tous petits créneaux, pour des raisons de programmation musicale nationale. Il serait très judicieux de penser à cela, car c’est quand même une mission de service public que d’annoncer un spectacle, et de faire découvrir un artiste. Non ? Il est reconnu que le travail de France Bleu Breiz Izel et France Bleu Armorique participe à cette réussite du « modèle musical breton », tant dans le soutien apporté aux artistes, qu’aux festivals, clubs et différents acteurs de la filière. Leur soutien ainsi que celui de la presse régionale, Le Télégramme, Ouest France ou la Liberté du Morbihan (notre première une ! Merci Pierre) nous a ouvert beaucoup de portes, et donné de la confiance surtout dans les moments difficiles.
Le Kergonfort Café-concert, passage obligé des années Rock alterno!
Les radios associatives existantes encore aujourd’hui offrent, elles, par contre, une programmation musicale vraiment originale, mais elles souffrent d’une visibilité réduite, d’un intérêt moins grand qu’à leur début. Subventionnées pour la plupart, et donc soumise à des normes institutionnelles précises, bénéficiant de peux de moyens de promotions, il manque, j’ai l’impression, l’insolence ou l’originalité qui les caractérisaient du temps des radios pirates. D’autant plus étonnant qu’aujourd’hui, avec l’informatique, les moyens de production radios sont bien moins coûteux et de bonne qualité. On est un peu revenu au temps des années 70 avec la Télé omnipotente et ses émissions de variété qui invitent toujours les mêmes chanteurs ou humoristes, chantons « le loup le renard et la belette » Cool ! J . Le tuyau est encore plus réduit, malgré tout ce que l’on veut nous faire avaler comme couleuvre en particulier, Internet et le téléchargement.
Ce moyen de communication a pour nous groupe de rock indépendant réduit tous les frais d’envois postaux, de photocopie par exemple. Nous pouvons diffuser et envoyer du son de l’image, trouver une masse d’infos, communiquer, mais en même temps, en tant qu’internaute et créateur, nous sentons l’enjeu commercial qu’il représente. Oui cela a réduit le volume d’albums vendus de moitié pour un groupe comme le notre en quinze ans avec bien moins de visibilité qu’aujourd’hui. Donc si nous raisonnons en tant que commerçant qui investit dans la production, et cela à un coût important, nous pouvons nous plaindre. En tant que créateur, néanmoins l’on s’interroge car tant de paramètres rentrent en compte comme la diffusion, le format, la maitrise et/ou la transparence des systèmes de répartition de droits (auteurs, compositeurs, interprètes, producteurs). C’est ce que révèle aujourd’hui le débat initié par la rébellion des coiffeurs refusant l’augmentation de la SPRE . La question d’ Hadopi est en ce sens assez drôle, il rejoint ce problème de la rémunération équitable des créateurs et l’utilisation dans un lieu public ou privé à des fins commerciales d’une œuvre. Il démontre les contradictions d’une industrie, basée d’abord sur le profit. L’édition en est la pierre angulaire, La Sacem est composée de sociétaires. Parmi eux la plupart des gros éditeurs sont des Majors. Ce sont eux qui ont défendu Hadopi, et qui, par le biais de la Sacem (si l’on analyse les dernières prises de positions et les critiques formulées au sujet de cette loi), croient possible d’envisager à terme la licence globale. Celle-ci utilisée dans le sens d’une redevance audiovisuelle perçue sur les abonnements de nos Fournisseurs d’Accès Internet, et dont les bénéfices seraient répartis pour moitié sur la production et création par les sociétés d’auteurs, d’interprètes, de producteurs, permettrait certainement de donner un sacré souffle à l’économie des arts en général. Tout cela est assez édifiant, et démontre le décalage entre industrie et création, car les artistes doivent pour émerger, intégrer une somme incroyable de compétences (petite parenthèse : une des raisons objectives qui explique les succès de « fils » et « fille de »). Ce phénomène crée des résistances, et voit le milieu se refermer sur lui-même en décalage avec les réalités sociales d’une époque, qui par principe est LA source d’inspiration de création et d’invention dans quelque domaine que ce soit.
En route pour 2011 !!! (Photo P. Perennec)