Nous jouons samedi prochain à Plougras dans les Côtes d’Armor. Je connais bien ce village pour y avoir vécu mes sept premières années.
Jean Théfaine, journaliste à Ouest France et Chorus m’avait encouragé à créer ce blog pour dévoiler les à cotés de l’écriture, de la composition d’une chanson, décrire son environnement, interpréter le paysage, croquer les personnages que l’on retrouve dans le sens d’un mot, la sonorité d’une syllabe, ou mieux, dans le silence d’une respiration chantée ou musicale.
Se souvenir de ces premiers émois musicaux est un drôle d’exercice auquel je vais essayer de me soumettre, même si je dois reconnaitre qu’ils sont à l’origine de pas mal de choses qui me sont arrivées en grandissant.
Si j’ai choisi d’être musicien, d‘écrire mes propres chansons, cela nait certainement à cette période. Ma mère a une magnifique voix, elle chante Joan Baez, Tino bien sur, Nabucco de Verdi, Kousk Breiz Izel et An Durzhunell. Je suis donc même avant la naissance bercé par le son et le rythme. Comme elle est institutrice, et que nous habitons à l’école communale, je vais suivre sa classe et apprend à lire assez tôt. J'aime lire le journal et parcourir le programme télé. Celui-ci est détaillé car il n’ y a que deux chaines, et je me prends pour Thibault et les croisés, feuilleton de l’époque, comme je le dis dans la chanson Le vélo rouge sur l’album Trois. Oui, on ne disait pas série mais feuilleton, c’est pas le même son!
Dans la classe de mon père, les CM, on prépare le certificat d’étude. J’entends donc chanter les chants obligatoires à l’examen dont La Marseillaise ou Le chant du départ qui connaitra un nouveau succès sous Giscard pour ceux qui se souviennent!
J’ai 5 ou 6 ans, mes grands frères et mes grandes soeurs squattent le Tourne-disque de l’école et ramènent de leur lycée où ils sont pensionnaires à Guingamp d’autres sonorités. Surtout un disque où est écrit en grand: Rock’n Roll. Une compilation avec Little Richards, Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Gene Vincent et surtout Come on everybody d’un certain Eddie Cochran. Bref un manuel accéléré de formation pour l’apprenti rocker que je ne suis pas encore!
Un jour j’oublie d’enlever le disque de Rock sur la platine, il est au soleil et va gondoler, mais ça va il ne saute pas, ouf!
Il y a un disque des Shadows aussi avec Apache bien sur et un autre dans un style proche, dont je suis fan de la pochette, ce sont Les Spotnicks.
Il y a aussi le Revolver des Beatles et Jacques Dutronc.
Mes frères installent dans la classe de mon père pendant le week-end et les vacances une batterie, un ampli et une guitare électrique. Je suis très impressionné.
Je vais me faire une première éducation musicale à travers leurs goûts qui s’orientent quelques mois plus tard vers le blues. je vais donc très vite « rencontrer » Muddy Waters, John Lee Hooker, Sonny Terry et Brownie Mc Gee et tant d’autres.
Je ne joue pas encore d’un instruments, sauf quand je pique dans sa chambre la guitare électrique de mon frère pour la tenir avec sa sangle devant la glace de l’armoire de mes parents. J’imite les attitudes que j’ai pu voir sur les photos de pochettes des Vinyls surtout celles de Johnny Winter avec ses pattes d’éléphants sur son live qui commence avec un cri: « Rock’n roll ». Ça aussi ça m’impressionne beaucoup!!!!
En même temps j’ai des gouts assez éclectiques car j’ai le souvenir des tournois de sixte. Tournois de football par équipe de 6 joueurs, à Croaz ar Rouz ou à la sortie du bourg en face du garage! Un champs pas trop en pente, tondu au tracteur, une buvette, des maillots en coton: le scapulaire est encore à la mode.
Des néo hippies du Trégor courent après le ballon, se changent dans leurs Dauphine et Renault 8. Il y a des enceintes pavillons, les Bouyer, en haut des poteaux qui crachent une sorte de son nasillard. La play list: des compilations d’accordéons, et là, un morceau, qui me poursuit encore, c’est La Paloma.
Quand j’écoute ça je me souviens me faire des super films dans ma tête et voyager très loin au pays des rêves! Pas étonnant que je rencontre Jean Michel plus tard et que la boite à frissons fasse partie de ma vie de musicien. J’apprendrai par la suite que ma grand mère maternelle était aussi accordéoniste dans sa jeunesse et animait des bals…
Il y avait aussi un sonneur de branle poumon dans le village, Jean Coail Je me souviens qu’il jouait contre le mur de la mairie pendant les fêtes communales et d’un titre en particulier : Chibidi Chibida. Ça m’est resté dans la tête, encore aujourd’hui. Le piano du pauvre aussi de Pierre dans le grenier de chez Clémentine. Bien rangé dans son étui. Greniers dont je parle souvent dans mes textes, vieux magazines, breloques en tous genres, toiles d’araignées, et l’odeur des crêpes qui monte les escaliers et me ramène à la douce réalité des fondamentaux. Redescendre, retrouver l’atelier et les biligs à poste. Oui la musique nait aussi de toutes ces magnifiques saveurs.
J’en reste donc à la mélomanie, je vais attendre mon départ à Lannion pour me lancer dans l’apprentissage de la musique. Je commencerai par casser une guitare en chahutant sur la tête de mon frère. Je serai puni et, pour me faire pardonner déciderai d’en jouer vraiment! D’où depuis une drôle de relation avec la technique et les instruments qui a le don d’interpeller le luthier qui s’occupe de leur entretien.
Pour les mots et les histoires, j’ai souvent parlé de Plougras dans mes chansons.
Le titre Falling in love, les bohémiens qui étaient scolarisés pendant les fêtes foraines à l’école. Les manches de pioches et de fourches, polies comme du diamant, de Job a Gov. Il chiquait et crachait dans ses mains pour mieux retourner la terre dans les jardins. Les courses de vélo à Guerlesquin, Poulidor, Pingeon, Anquetil… dans La fête au village, les socquettes blanches du dimanche, les auto tamponneuses et les casse-gueules, mes chiens, Biniou, Pilette, Cash, Rami…
On se promenait un peu comme on voulait. S’il n’ y avait pas la mer, c’était déjà un peu comme une île.
Il y avait toujours quelqu’un pour nous observer dans les champs, les fermes, au bourg.
Mon petit paradis, c’était les landes à Trogarédec. Au milieu il y avait une clairière c’était un vrai décor de Western.
J’y allais avec Biniou mon chien que je perdais parfois car il partait courir toute la nuit après une bête.
Je l’entendais hurler au loin, il portait bien son nom. On faisait des moulins avec les branches sur les petits ruisseaux.
On passait beaucoup de temps à rêver et à regarder, j’ai retrouvé ça au bord de mer.
J’avais peur des vipères, je détestais les posow et leur décharges électriques en traversant les champs, j’aimais aller sur le tracteur de Roger donner à boire aux vaches, les tartines de pain paté beurre de Marie à 4 heures avec le café lez, regarder Anna Marie toute vêtue de noir avec sa coiffe, tricoter de grosses chaussettes de laine à la fenêtre de sa cuisine toujours ouverte, acheter des chapeaux de cow-Boys en plastique chez Cécile, aller regarder un western le dimanche après midi chez Marie olive.
Les portes étaient toujours ouvertes, ils n’avaient pas attendu la mode d’Halloween pour avoir des bonbons à donner aux enfants qui passaient, c’était toute l’année! Enfin, voir mon père après un orage en plein après midi improviser un cours de pêche à la mouche sur le Guic à sa classe. L’été on plantait la tente pendant deux mois et demi à Locquirec.
On retrouve un bon bout de ces histoires dans mes chansons, des sensations que j’exprime à travers des mots et de l’improvisation musicale.
J’essaie de le traduire au mieux de ce que j’en connais. Raconter le territoire, le partager car il n’appartient surtout à personne. Il est ici comme il pourrait se situer ailleurs à l’autre bout de la planète.
This land is your land, this land is my land chantait Woodie Guthrie ou she’s the girl with the red blue jean Gene Vincent.