Nous jouerons Le 7 mars prochain à l'Aréna de Nanterre dans le cadre de La nuit de la Bretagne. Nous avons déjà eu l'occasion de participer à cet événement en 2013 et 2014 avec Le Bagad Kemper. Nous avions alors visité des salles comme Bercy, le Zénith de Nantes, Le Muzik-Hall de Rennes, l'Aréna (déjà) de Brest ou le parc des expos de Langolvas à Morlaix entre autres. Ce sont toujours des soirées très particulères, où nous partageons la scène avec d'autres artistes. Les temps de passages sont millimétrés pour anticiper les changements de plateau et enchainer au mieux sans temps morts. C'est une sacrée mécanique bien huilée où tout le monde est à sa place et donne le meilleur, depuis tout le personnel de l'organisation jusqu'aux musiciens et danseurs et sans oublier les techniciens bien sur. Cette fois ci on passe au stade du stade! J'ai visité en octobre dernier le lieu. C'est très impressionnant.
Nous allons donc une fois encore y sonner en compagnie du Bagad Kemper et présenter plusieurs titres de notre dernier album sorti en septembre chez Coop Breizh : NERZH. Je profite de l'occasion pour parler un peu de Bretagne, et de musique surtout. Je pense que l'on entretient tous un lien unique avec le lieu où nous sommes nés. Ceci est valable pour les êtres humains des cinq continents. On peut chercher sans cesse à mieux se connaître, mieux se comprendre, on en revient souvent à l'enfance, à une éducation, à une sorte de passage de témoin dans un relais entre générations qui trouve sa forme dans ce qui nous entoure, ce que nos sens perçoivent. Pour moi en tous cas, et sur mon ressenti, c'est ce que je partage aujourd'hui et que j'essaie de traduire ou de transmettre. La Bretagne c'est une histoire évidemment, elle s'inscrit tout au long des siècles passés dans celle du monde, des migrations des premiers êtres humains jusqu'aux organisations administratives: naissance des frontières, pouvoir, richesse, liberté. Le "vivre ensemble" est conditionné par l'évolution du progrès, son interprétation économique et philosophique. On essaye de traduire tout cela ou de répondre à ces questions au présent. En doutant souvent, en se méfiant de trop de certitudes, naît parfois l'idée de raconter une histoire avec des mots, des images, des formes, des notes, du silence ou du vide.
La Bretagne c'est tout d'abord cela. Un lieu où je vis depuis toujours, la mer, une ligne d'horizon. Un regard qui se pose sur une sorte d'infini où la question n'a pas de réponse, où l'on devient un contemplatif sensible au bruits du vent, des branches de l'arbre ou du ressac en passant par le moteur d'un tracteur dans un champs ou d'un bateau de pêche levant ses casiers à la côte. Une forme d'interprétation de l'ennui pas si ennuyeuse que cela et qui peut vous amener à apprendre à voir ce que l'on nous donne. Ce petit coin du monde, c'est de la pierre, des arbres, une flore, des odeurs, de la lumière, une faune et des hommes. Une langue le traduit parfaitement quand on la maitrise. la musique aussi. La culture est avant tout rurale, elle trouve ses origines dans cette histoire des paysans dont nous sommes très nombreux à être les descendants ou dans l'obligation d'immigrer vers les ports puis les grandes villes juste pour survivre. pour les portugais cela devient le Fado ou la saudade comme pour les brésiliens, le blues pour les chanteurs afro-américains qui découvrent les usines de Chicago. Nous sommes très tôt confrontés à quelques notes d'un chant traditionnel, dans une forme que seule cette langue peut nous transmettre. Elle nous raconte une histoire que l'on partage avec tant d'autres, sous toutes les latitudes.
Il y a la Gwerz que Denez par exemple interprète si sensiblement et la transe. Si nous en connaissons des formes en "Lâcher-prise", ici c'est plutôt bras dessus bras dessous avec des mouvements de corps portant le rythme qu'impose une mélodie et non les percussions. La "perte" de sens correspond à l'unité d'un ensemble. Comme un pont résonne sous les pas d'une fanfare, elle nous entraine vers une autre interprétation de cette contemplation d'un paysage et de ses lignes de fuite.
La musique bretonne raconte le monde, elle n'est pas figée dans une vision folklorique dans le sens péjoratif du terme, si elle a besoin d'être diffusée cela peut entrainer des malentendus, mais nécessaires et qui interrogent. La musique a de tout temps été un lien entre les femmes et les hommes, une interprétation par le son du bruit de la nature et des idées. Vivre au présent du vingtième siècle c'est découvrir l'amplification, l'émission par ondes radiophoniques,le vinyle, le numérique... Enfant, je ressens ça, je l'interprète en écoutant Little Richards, Alan Véga ou Alan Stivell. Le lieu où l'on naît impose un cadre, il nous façonne. On ne pourra jamais en revendiquer une quelconque propriété, cela nous dépasse, et est ressenti d'une manière propre certainement par toutes les formes de vie sur terre, animale, végétale ou minérale (l'érosion...). La transe traduit ce partage si évident auquel nous souscrivons quand on fait de la musique. Mon éducation par mes grands pères ou mon père qui ont connu deux guerres mondiales, m'a enseigné de se méfier des drapeaux, des nations, des frontières, d'être toujours à l'écoute de l'étranger, que sa petite histoire qu'il nous conte est notre propre histoire. Alors j'aime le Blues, le Rock, le punk, les musiques savantes et populaires, la chanson française, le Rai et tant d'autres, elles font partie intégrante du paysage que j'ai la chance de contempler,et intègrent ce champs de la musique d'ici qui a su de tous temps s'enrichir des mélodies et rythmes d'ailleurs par la vocation maritime et marchande de nos ports et estuaires. les campagnes ont su préserver tout ce répertoire, ce patrimoine. les Béla Bartok ou Alan Lomax bretons s'appelaient Luzel, Hersart de la villemarqué, Paolig Monjarret, et tant d'autres. Il n'y a pas de dogme imposé par une quelconque autorité morale dans ce domaine. La musique bretonne est de toutes les couleurs, elle est Brestoise comme Blues, Rennaise comme Rock tout autant que Glomel comme Gavotte. On a de la chance d'être un musicien en Bretagne. J'ai rayé des disques de Diaouled ou Stivell pour apprendre les thèmes à la flûte irlandaise quand j'avais 9 ans, puis je suis allé vers la guitare et le rock, c'était comme une envie de se voir un peu unique, d'exister aux yeux et oreilles de son entourage. Puis tout se met en place au fil du temps, on joue, beaucoup, puis après on se demande quelle histoire on pourrait bien raconter. On parle beaucoup de soi, enfin de ce que l'on connait le mieux à priori, on se trompe souvent. Mais surtout on fait des rencontres, on partage. Cette expérience que je vis avec le Bagad Kemper depuis dix ans, est une forme de récompense pour Red Cardell, donne un sens à ce parcours et le valide. On peut être un groupe, un collectif, un ensemble, avoir connu de nombreuses périodes qui ont dessiné notre dense production au fil du temps, il y a quelque chose qui reste des origines, mélanger à sa sauce tous les ingrédients d'une recette née depuis la nuit des temps. Juste essayer d'en faire un plat digeste, au moins à votre convenance.
Je tiens à remercier Steven Bodénès pen-soner du Bagad Kemper qui a décidé de prendre un peu de recul après dix ans d'un travail de dingue, avec qui nous avons pu échanger autour de cette idée que l'on se fait de la musique d’ici. C'est pour moi une rencontre qui compte et qui m'aura mis en confiance dans les moments de doutes qui en s'accumulant font porter à chaque instant du parcours de vie de musicien un poids sans cesse plus "lourd" peut-être, mais nécéssaire pour avancer et trouver encore de nouvelles idées et histoires à raconter. Fest-Rock et Nerzh furent deux entreprises vraiment géniales à mener tous les deux, on a eu de bons moments de franche rigolade dans une atmosphère au long cours vraiment détendue. j'ai hâte d'écouter ses prochains projets et je ne doute pas que nous aurons l'occasion de re-sonner ensemble à l'avenir.
L'occasion de souhaiter la bienvenue également aux nouveaux Penn, Gwendal Poder et Kevin Lossouarn qui ne seront pas trop de deux pour assurer la charge de travail d'un bagad entre Concours, créations et sorties etc... On se connait bien puisqu'ils jouent depuis très longtemps au Bagad, et nul doute que nous saurons entretenir dans le projet cette notion de partage.
A Bientôt
PS : Bon, Steven, je vais quand même essayer d'apprendre mes paroles et mes accords par coeur quand bien même je changerai des trucs le soir du concert ;-)